Jean DE PALACIO

          

Rédacteur prinicpal : 
Guy Ducrey
Champ disciplinaire : 
Littérature
Elements biographiques
Nationalité : 
Français
Pays d'exercice : 
France
Origines sociales : 

aristocratie (père), ruralité (mère)

Origines géographiques : 

hispano-mexicaine (père), française (mère)

Scolarité : 

Lycée Blaise Pascal (Clermont-Ferrand), Lycée Henri-IV (Paris).

Activités professionnelles

Carrière universitaire

Etudes supérieures : 
  • Lycée Henri-IV (Première Supérieure), Sorbonne.
  • Agrégation d’Anglais (1953).
Thèse : 

Doctorat d’État : « Mary Shelley dans son œuvre. Contribution aux études shelleyennes », Sorbonne 1970. Jury : prof. Jean-Jacques Mayoux, Jacques Voisine, Jean Raimond, Pierre Vitoux.

Postes occupés : 

Assistant à la Sorbonne  (1959-64) ; Maître-Assistant à la Faculté des Lettres de Rennes (1964-65) ; Chargé d’enseignement, Professeur sans chaire, Professeur titulaire à la Faculté des Lettres de Lille, puis Université de Lille-III (1965-78) ; Professeur à la Sorbonne (1979-99).

Perspectives critiques et méthodologiques

L’œuvre de Jean de Palacio s’est déployée sur trois plans si étroitement liés qu’il semble difficile à un regard surplombant de les séparer : un ensemble d’une dizaine d’ouvrages échelonnés, pour la plupart, entre 1990 et 2014 ; durant la même période, une entreprise considérable de réédition critique de textes « fin-de-siècle », d’abord réunie dans la collection « Bibliothèque décadente » qu’il avait fondée chez Séguier, puis chez d’autres éditeurs ; enfin un séminaire de DEA, ouvert à ses doctorants, tenu à la Sorbonne de 1979 à 1999 et qui servait de laboratoire où s’éprouvaient ses ouvrages en préparation. C’est là que s’inventait une autre histoire littéraire, bien loin des manuels académiques constitués. À côté des œuvres consacrées, elle invitait à considérer d’un œil également attentif les textes et les images les plus oubliés, les plus modestes en apparence qu’avait produits le second xixe siècle – en France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, mais aussi en Roumanie, en Hongrie… Car l’ambition était européenne et comparatiste. Aussi ce laboratoire de l’œuvre devenait-il à son tour, pour des chercheurs débutants, laboratoire  – vivante réserve d’archéologie littéraire et de bibliophilie où puiser les sources, l’inspiration et la méthode d’interprétation des textes.

Il revient à Jean de Palacio d’avoir donné une légitimité scientifique et une existence universitaire nouvelles à la Décadence – notion à laquelle ses travaux donnent une extension conceptuelle et chronologique tout à fait originale. Non plus « Les Décadents » comme groupe constitué d’écrivains et poètes ; encore moins comme cénacle réuni autour de la revue « Le Décadent » des années 1880. Mais plutôt à la façon dont Vladimir Jankélévitch avait considéré (mais en philosophe) la notion dans un article fondateur de 1950, souvent cité au cours du séminaire de la Sorbonne comme dans les travaux publiés : un processus qui, sans cesse relancé, travaillerait la culture des sociétés arrivées à maturité, un « esprit » (« esprit de décadence », écrit parfois Jean de Palacio) qui traverserait les productions artistiques les plus hétérogènes à partir du milieu du xixe siècle et reste souvent perceptible jusque dans les années 1930. Car le phénomène n’est pas arrêté chronologiquement par tel acte fondateur ou telle dissolution de groupe : il peut se profiler dans le premier ouvrage des jeunes Goncourt (1851) et se perpétuer jusque dans un récit roumain de 1931, comme ce remarquable Vin de longue vie de Cocea, dont Jean de Palacio donna la première traduction française.

Jamais livrée a priori, la définition de la Décadence se construit au contraire empiriquement, d’essai en essai, jusqu’à la somme que M. de Palacio signe en 2011, La Décadence : le mot et la chose. Comme s’il avait fallu dix ouvrages, et une vie de recherche et de lectures, pour parvenir à définir au plus près un phénomène de pareille complexité (d’ailleurs souvent critiqué et mis en doute par ceux-là même qui l’employaient à la fin du xixe siècle). Au point que l’on puisse considérer tout l’œuvre scientifique de ce Professeur comme une définition, par approches successives, de la Décadence en littérature et dans les arts : livre après livre et touche après touche, il montre la cohérence de la notion (sans celer ses fréquents paradoxes et contradictions), en manifeste la richesse et en prouve enfin la prégnance dans l’imaginaire du xixe siècle finissant. Deux voies entrelacées l’y conduisent : celle des Figures et celle des Formes – qui donnent leur titre à deux volumes de 1994 et 2000 (Figures et formes de la décadence), plus tard suivis d’un troisième au titre voisin, Configurations décadentes.

Les Figures qui l’intéressent au premier chef s’imposent par leur récurrence obsessionnelle à travers tout le spectre de l’écrit et de l’iconographie fin-de-siècle, et à travers tous les genres littéraires : du récit de grand quotidien à la prose de petite revue, du recueil poétique oublié au roman à succès, du drame à la nouvelle. Certaines, comme Pierrot ou Psyché, dont la fortune est prodigieuse, lui inspirent des ouvrages entiers ; d’autres, dont il serait trop long ici de donner une liste exhaustive, des études de plus petite envergure : tels Judas, Messaline ou Néron réhabilités par les écrivains ; la fortune de Salammbô après Flaubert ou celle de Nana après Zola ; les avatars de la femme maquillée ou de la tête décollée. Mais les figures ne sont pas qu’humaines : ce peuvent être des livres (la postérité d’À rebours de Huysmans), ou des lieux : le Cirque romain, Suburre, la mythique forêt de Brocéliande qui devient « Lotissement » sous les coups du progrès moderne, et jusqu’à la cathédrale que des imaginations profanatrices transforment en gigantesque corps de femme couchée, jambes en l’air.

Il s’agit toujours d’observer les dévoiements qu’infligent à ces figures le pessimisme et les transgressions des artistes fin-de-siècle, à partir des versions consacrées de la tradition antique ou biblique, ou de l’esthétique classique. Les héros des contes merveilleux offrent ici des cas exemplaires : Barbe-Bleue désormais exalté, le Prince charmant devenu niais, les fées amenuisées et sans pouvoir. Dans tous les cas, les écrivains grossissent à loisir les épisodes suspects des récits, privilégient les zones d’ombre et les versions apocryphes de l’Histoire, observent les réalités les plus élevées dans la perspective d’un naturalisme outré (l’Amour considéré par exemple, à mille lieues de tout pétrarquisme, sous l’angle des discours contemporains sur l’obstétrique). Ainsi se dessinent les contours d’un vaste univers littéraire où l’amalgame et l’anachronisme sont rois, et où la réécriture (par gauchissement de la tradition, par pastiches et parodies, par irrévérence toujours) s’érige en règle. « La Décadence n’invente rien », entendait-on le Professeur souvent rappeler dans la salle de séminaire qui lui était attribuée, toute en longueur sous les toits de la Sorbonne. Elle pratique en effet plutôt la variation déformante (ou anamorphose) – et toujours dans le sens de l’aggravation et de l’atteinte portée aux règles de la mesure, de l’harmonie et de la bienséance.

Autant que les figures, les Formes pâtissent de cette entreprise maligne. Celles, sans doute, du roman, qui renonce souvent à la péripétie, se parcellise en minimes notations intérieures, lorgne vers l’essai, s’approprie des genres hétérogènes, se trouve dévoré par l’illustration jusqu’à devenir album. Mais surtout celles du recueil de récits courts – genre, entre tous, où excella la période – et du poème : contes sans épilogue ni morale, nouvelles qui ne sont que la coda ou le codicille de nouvelles antérieures, comme si l’inspiration vraiment neuve avait été impossible ; poèmes travaillés tout entiers par la répétition, truffés de mots abscons ou de langages spécialisés, atteints enfin par la tentation du silence. C’est là en effet que réside assurément l’essentiel : dans l’observation (croissante, semble-t-il, au fil des ouvrages de Jean de Palacio) des maladies du langage dont ces littératures de décadence sont atteintes. Ici un roman reproduit longuement la parole gâteuse et aphasique de son héros ; là le borborygme (quand ce n’est pas le crachat) réclame ses droits dans un poème ; ailleurs des textes entiers semblent rédigés en « style télégraphique » ; et partout menace le blanc du texte interrompu ou de la page en friche – bref, le Silence du texte, titre d’un ouvrage de 2003 où ces phénomènes sont étudiés dans toute leur ampleur.

À une époque, celle de 1900, hantée par l’avenir de l’écrit et de l’intelligibilité du sens, ce sont là autant de manifestations formelles du pessimisme contemporain. Et même du nihilisme, auquel ressortissent finalement ces pages blanches, ces textes fragmentaires et parfois à peine lisibles – rébus dont le sens serait englouti pour les modernes, a fortiori pour les générations à venir. Jean de Palacio retrouve aussi ce nihilisme dans la fortune considérable du vanitas vanitatum de l’Ecclésiaste à la fin du xixe siècle, auquel il consacre des développements particulièrement inspirés. Et il n’est pas interdit de trouver dans sa profonde connaissance de ce texte et de ses réécritures les raisons de sa modestie de chercheur.

Ceux qui l’ont souvent écouté et beaucoup lu se réjouissent de le retrouver sous la forme renouvelée de l’auteur de fiction. Ses ouvrages (plusieurs titres déjà publiés depuis 2009) permettent de se laisser prendre, d’une autre façon, au plaisir vertigineux de l’intertextualité, de la reprise, de l’allusion savante. Comme dans l’œuvre scientifique, l’on devine en effet à tout instant dans ces récits l’ombre portée d’une grande bibliothèque patiemment réunie, et qui les féconde.

Lorsque maints universitaires laissent des livres, Jean de Palacio aura écrit une œuvre, dont on peut dire (pour reprendre ici le titre d’un ouvrage qu’il consacra à ce Jean Lorrain dont il publia par ailleurs la correspondance) qu’elle est un « produit d’extrême civilisation ».

Bibliographie

Primaire

Ouvrages personnels : 

Essais

­ Le Crépuscule des Royautés (reflets littéraires), Paris, Champion, 2014, en collaboration avec Marie-France de Palacio.

­ La Décadence : le mot et la chose, Paris,  Les Belles lettres, 2011.

­Jean Lorrain, produit d’extrême civilisation, actes du colloque de Fécamp, dirigé par Jean de Palacio et Éric Walbecq, textes réunis par Marie-France David-De-Palacio, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2009.

– Configurations décadentes, Louvain, Peeters, 2007.

– Le Silence du texte : poétique de la décadence, Louvain, Peeters, 2003.

– Les Métamorphoses de Psyché : essai sur la décadence d’un mythe, Paris, Paris, Séguier, 2000.

– Figures et formes de la Décadence [2e série], Paris, Paris, Séguier, 2000.

– Figures et formes de la Décadence [1re série], Paris, Paris, Séguier, 1994.

– Les Perversions du merveilleux : Ma Mère l’Oye au tournant du siècle, Paris, Paris, Séguier, 1993.

– Pierrot fin-de-siècle, Paris, Paris, Séguier, 1990.

– Spiritualité de Max Jacob, textes réunis par Jean de Palacio, Paris, Lettres modernes, 1982.

– William Godwin et son monde intérieur, Presses universitaires de Lille, 1980.

– Mary Shelley dans son œuvre : contribution aux études shelleyennes, Paris, Klincksieck, 1969.

Editions de textes : 

Éditions critiques

 

– Jacques d’Adelswärd-Fersen, Messes Noires. Lord Lyllian (1905), édition de Jean-Claude Féray et Jean de Palacio, Montpellier, Éditions QuestionDeGenre/GKC, 2011.

– Jean-Louis Dubut de Laforest, Le Gaga. Mœurs parisiennes, Milan, Cisalpino Istituto Editoriale Universitario, « Bibliothèque de la décadence » no 2, 2008.

– Frédéric Boutet, Contes dans la nuit, Milan, Cisalpino Istituto Editoriale Universitario, « Bibliothèque de la décadence » no 1, 2006.

– Félicien Champsaur, Dinah Samuel, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1999.

– Camille Lemonnier, Le Possédé, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1997.

– Paul Adam, Lettres de Malaisie, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1996.

– Francis Poictevin, Ludine, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1996.

– Jules Bois, L’Éternelle Poupée, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1995.

– Marcel Batilliat, Chair mystique, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1995.

– Catulle Mendès, Méphistophéla, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1993.

– Catulle Mendès, Les Oiseaux bleus, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1993.

– Jean Richepin, Contes de la décadence romaine, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1994.

– Jean Lorrain, Sonyeuse, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1993.

– Jean Lorrain, Princesses d’ivoire et d’ivresse, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1993.

– Rachilde, Les Hors Nature, Paris, Séguier, « Bibliothèque Décadente », 1993.

– Léon Cladel, Ompdrailles : le Tombeau-des-Lutteurs, Genève, Slatkine, 1980.

– Paul Alexis, La fin de Lucie Pellegrin ; L’infortune de Monsieur Fraque ; Les femmes du père Lefèvre ; Journal de Monsieur Mure, Genève, Slatkine, 1979.

 

Édition de correspondances

-- Jean Lorrain et ses correspondantes. Indices sentimentaux et incidences stylistiques, édition établie et présentée par Jean de Palacio, Tusson, Du Lérot, 2015.

-- Max Jacob, Lettres à André Lefèvre, édition établie et annotée par Jean de Palacio, Brest, UBO, Publications du CECJI, Cahier n° 9, 2015.

-- Lucien Descaves, Lettres à son père 1882-1885, édition établie, préfacée et annotée par Jean de Palacio, Brest, UBO, Publications du CECJI, 2010.

-- Jean Lorrain, Correspondances, édition établie, présentée et annotée par Jean de Palacio, Paris, Champion, 2006.

Direction d'ouvrages et de numéros de revues : 

Numéros spéciaux de revues

-- Cahiers de Littérature Française, XII, Octobre 2012, « Sabbat ».

-- Romantisme, n° 129, 2005/4, « L’imaginaire de la chasse dans le second XIXe siècle ».

-- Romantisme, n° 94, 1996/4, « Nosographie et Décadence ».

-- Revue des Sciences Humaines, n° 158, 1975/2, « Problèmes de la traduction ».

-- Revue des Sciences Humaines, n° 153, 1974/1, « Aspects du Décadentisme européen ».

Secondaire

Mélanges : 

– « Enseigner la décadence », entretien de 1991 (Équinoxe, revue romande de sciences humaines, n° 6, 1991, p. 9-17), repris dans Figures et Formes de la Décadence, Paris, Séguier, 1994, p. 13-22.

Anamorphoses décadentes, Études offertes au Professeur Jean de Palacio, Isabelle Krzykowski et Sylvie Thorel-Cailleteau éd., Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2002.

– Silences fin-de-siècle. Colloque en hommage à Jean de Palacio (20-22 mai 2005), André Guyaux éd., Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2008.