Dans Curriculum vitae, l’écrivain fait part de sa proximité avec les mouvements politiques et intellectuels à gauche et à l’extrême gauche (Parti communiste, mouvement trotskiste, marxisme, Lutte ouvrière, Socialisme et Barbarie) au milieu des années cinquante, tout en affirmant sa distance vis-à-vis de toute adhésion à un groupe ou à un parti, attitude qu’il a toujours conservée par la suite, préférant, s’il le fallait, la posture du « compagnon de route » à celle du « militant ». L’écrivain précise ainsi la manière dont il considère les relations entre littérature et politique : « […] à des périodes particulièrement tendues, je me suis engagé. Par exemple, j’ai signé le Manifeste des 121, contre la guerre d’Algérie. Il y a des moments où l’écrivain devient un traître s’il ne jette pas dans la balance l’autorité morale dont il se trouve investi. Cela dit, je n’aime guère les pétitions, les chartes ni les déclarations de ce genre. D’abord, parce que j’ai horreur de parapher des textes que je n’ai pas rédigés moi-même, textes dont la rhétorique me déplaît la plupart du temps. Et s’il m’arrive, pour la bonne cause, de m’engager malgré tout, je sais que la chose est souvent vaine : lorsque vous trouvez deux cents ou trois cents signatures au bas d’une revendication, elles se neutralisent les unes les autres et perdent leur efficacité. Si des journalistes veulent connaître mon avis sur tel ou tel sujet, ils peuvent venir m’interroger : je donne une réponse personnelle, avec ma sensibilité et mon propre langage. Le malheur de la politique, c’est que les mots qu’elle utilise sont totalement corrompus, au sens moral et linguistique : un écrivain ne saurait avaliser la langue de bois, et encore moins l’utiliser à son tour quand il prend parti. Mais c’est surtout en écrivant ses romans ou ses poèmes qu’il s’engage : le style n’est jamais neutre, jamais innocent, il peut cautionner l’ordre établi ou bien, au contraire, ne pas s’y conformer et le subvertir. Le vrai choix politique est là1. »
1. Michel Butor, Curriculum vitae, entretiens avec André Clavel, Paris, Plon, 1996, p. 87.↩